Parlez-moi d’amour ! (Et puis quoi encore ?)

J’ai épousé Delphine il y trente ans et nous nous aimons encore comme des adolescents. Elle a eu le bon goût de naître un quatorze février. Ce qui a certes, un certain chic tout en générant des galipettes budgétaires puisqu’il est de bon ton de fêter le jour de l’amour et celui de sa naissance avec deux présents différents.

Mais bon sang de bois et mille fariboles, qu’est-ce donc là que l’Amour ? Tout le monde en parle, tout le monde en veut. Ou s’en plaint, c’est selon le bon vouloir de la vie. Et pourtant personne ne semble en avoir la même définition.

Larousse® s’est fendu d’un truc pas mal, il nous dit : « Amour » : Nom masculin ; fort sentiment d’affection et d’attachement envers un être vivant ou une chose, assez intense pour pousser ceux qui le ressentent à rechercher une proximité physique, intellectuelle ou même imaginaire avec l’objet de cet amour .

Sur la fin de la définition ça part un peu en quenouille quand on passe à la proximité physique, intellectuelle ou même imaginaire, on sent bien que ça commence à déraper. D’autant qu’il semblerait que le phénomène est décrit comme « assez » intense et qu’il nous «pousserait» à faire des trucs.

Dès que je tombe sur des adverbes comme « assez » je sens que l’auteur ne veut pas se mouiller. Alors intense ou pas. A la limite, j’aurais remplacé « assez » par « tellement » et le frisson aurait été encore plus intense. Mais bon, Larousse® n’est pas connu comme gros amateur de frissons.

J’ai été chercher ailleurs une définition plus courageuse et plus précise. Et pas une seule ne m’a satisfait. Ni celle des religieux, ni celle de ma maman, ni celle des gentils, pas plus que celle des méchants.

Alors je n’en suis pas resté là et enfin, mes consœurs et confrères humains, j’en ai trouvé, non pas une, mais sept !

Mais où as-tu trouvé sept différentes définitions de l’amour Jérôme ?

Chez les Grecs !

Parfaitement ! Mais pas n’importe lesquels hein ! Les Grecs d’avant Socrate (qui étaient rudement malins). D’Athènes à Thessalonique et passant par Corinthe, ils avaient sept mots différents pour qualifier l’amour (ce truc intense qui nous pousse, vous vous souvenez).  Et bien leur approche à mes Grecs d’avant Socrate, elle a de la gueule et je vous l’offre pour la Saint Valentin.

Je précise avant de commencer que je ne suis pas tout à fait allé chez les Grecs. C’est mon ami John (parfaitement ! J’ai un ami qui s’appelle John) qui travaille depuis trente ans sur l’assertivité émotionnelle et qui m’a donné cette information géniale.

Pourquoi plusieurs mots ?

Je ne sais pour vous mais l’amour que j’ai pour mes filles, celui que je ressens pour ma merveilleuse compagne de toujours, celui que j’ai pour mon chien Monsieur Spock, ou encore pour mes amis Pierre, Gil, Franck ou Christian (je n’ai pas d’ami qui s’appelle Paul ou Jacques). Tous ces amours n’entrent pas dans la même énergie. Certains peuvent se compléter et d’autres rester dans une seule famille de l’amour. L’intelligence des Grecs d’avant Socrate (un jour je vous raconterai pourquoi je les préfère à ceux d’après) aura été de donner un écrin différent, une dimension autre pour chacune de ses formes d’amour.

À nous, à chacune et chacun de nous de les identifier, de les stimuler, de les reconnaitre.

Les sept formes de l’amour

Eros – Attraction et désir sexuel

Cet amour-là est chargé du désir et d’appétit gourmand de l’Autre. Eros est le héros de bien des œuvres artistiques et c’est aussi un Dieu Grec. Celui de l’amour1 ; Il est une divinité primordiale issue du Chaos. Sa mission était de créer l’attraction entre les différents êtres pour les pousser à s’unir, à se reproduire et à participer à la continuité de l’espèce.  Selon Freud, les êtres humains connaitraient deux pulsions fondamentales correspondant aux deux Dieux Grecs, le dieu Éros; pulsion de vie et de procréation et le dieu Thanatos2, pulsion de mort et de destruction. Eros est aussi un Dieu androgyne. Il aurait plein de followers en 2024.

Philia – Complicité et amitié

Dès la première enfance nous cherchons cette relation puissante et complice qu’on appelle l’amitié. Les enfants ne s’y trompent pas et savent qu’on ne peut pas évoquer l’amitié avec tout le monde. Très tôt nous avons hiérarchisé avec beaucoup de sérieux ce qui est de l’amour et ce qui en est moins en créant une catégorie appelé BFF, ma meilleure amie, mon meilleur ami. En langue française, on distinguera plus tard en entrant dans l’âge de raison (quel ennui !)  les copines et les copains des amis. Observez comme certaines personnes expriment de la fierté et de la joie en disant : Oh mais elle / lui c’est un.e véritable ami.e.

Ludus – Plaisirs de jeu ensemble ou d’instants ludiques et stimulants

J’ai une paire d’amis que j’aime pour les moments que nous vivons ensemble à écouter de la musique, à parler toute la nuit de livres ou de films. Sans eux, il y aurait un trou béant dans ma vie. Je les aime intensément. Et je les aime surtout ou seulement quand nous sommes dans ces moments de plaisirs partagés que personne autour ne semble comprendre. La complicité n’est plus comme pour Philia, dans la relation mais bien dans le moment de plaisir. Et vous vous avez ces amis-là ? Sport, vins, philatélie, tout est bon !

Philiauta – Amour de soi

Il ne s’agit évidemment pas ici de narcissisme et d’orgueil mais bien d’un phénomène particulièrement renseigné, enseigné, coaché et conseillé depuis une quarantaine d’année. L’amour de soi-même est présenté comme une condition sine-qua-non pour être aussi disponible pour les autres, plaisant.e et inspirant.e. Ce n’est pourtant pas nouveau puisqu’il s’agit d’un commandement de la Bible : Tu aimeras ton prochain comme toi-même3.

Pragma – Liens solidifiés dans le temps

Voici une forme d’amour présentée dans de très belles chansons qui font immanquablement monter les larmes comme «Les vieux mariés » de Sardou (si si) et bien sûr « La chanson des vieux amants » de Jacques Brel. Il s’agit de ce lien devenu indestructible pour avoir traversé les épreuves du temps. Les juges de paix rencontrent parfois lors de résolutions de divorce cette indéfectible tendresse que certains couples qui n’ont plus ni Eros, ni Ludus, ni Philautia, et continuent pourtant de ressentir l’un pour l’une, l’une pour l’un.

Storgé – Liens parents/enfants

Il se véhicule encore une croyance tenace selon laquelle l’amour des parents pour leur enfants et des enfants pour leurs parents est une évidence de l’espèce, un bagage hérité de la nuit des temps. Un amour automatique. Il n’en est rien. Faut-il rappeler combien d’enfants souffrent de manque d’amour ou de maltraitance ? Cet amour est le fruit d’une relation très particulière de respect, de tendresse, de compassion qui permettra de passer de la dépendance à l’indépendance. Un lien profond lui aussi construit dans le temps qui trouve sa racine si tôt qu’on en oublie le sens et finissons par croire que c’est comme ça ! C’est la nature !

Agape – Don de soi désintéressé, amour inconditionnel de l’Autre

S’il y a une chose que j’ai observé c’est que mon chien Monsieur Spock m’offre cette forme d’amour dans laquelle il n’y a pas de demande en échange, sauf peut-être à l’heure du repas où je perçois dans son langage du corps qu’il attend une petite croûte de fromage. Et bien même dans ces moments-là, si je ne lui ai rien donné et que je quitte la table, il me suit avec toute sa joie de toutou, il oublie qu’il n’a rien eu. Il m’aime comme ça. On compte sur les doigts d’une main, peut-être deux, les gens que nous connaissons et qui donne sans compter, ni attendre rien en retour et nous aiment tels que nous sommes.

Et que faire de cette liste ? (parce que bon !)

En guise de conclusion je vais vous dire comment utiliser cette liste de mots. C’est un exercice que je propose dans mes séminaires sur le développement des compétences émotionnelles.

Choisissez un endroit où vous serez bien installé.e. Prenez le temps de penser à toutes ces personnes pour qui vous ressentez de l’affection et posez-vous la question pour chacune des sept formes d’amour, laquelle ou lesquelles sont celles qui vous réunissent. Peut-être identifierez-vous celles qui vous manquent et que vous aimeriez partager. Peut-être aussi que ce voyage au pays des gens que vous aimez sera éclairé d’un nouveau sens.

Je sais que ma compagne de voyage depuis trente ans coche de nombreuses cases dans la liste alors je me dépêche de signer ce billet du 14 février 2024 pour aller la retrouver.


Lecture conseillée : Le Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry

Chanson conseillée : Vertiges de l’amour d’Alain Bashung


  1. Selon la Théogonie du poète grec Hésiode – VIIIè siècle Av J.C. (et avant Socrate). ↩︎
  2. Et pas Thanos. Une précision pour les fans de la mythologie «Avengers ». ↩︎
  3. Lévitique 19 : 18. ↩︎