Redéfinir la bienveillance !

Bientôt cinq millénaires que les humains cherchent à définir la bienveillance, appelée ailleurs compassion et depuis les années 60 en Californie, pays des rêves et du LSD, la Position de vie OK/OK.

Comme trop souvent, cette notion est défendue comme une valeur ou un dogme. Presque une croyance : Il faudrait, selon nos Maîtres, nous maintenir sans faillir dans la position bienveillante à l’égard de l’Autre, c’est comme ça que la communication et les relations seront sauvées. Les dogmes font trop souvent fi de deux facteurs immuables : l’humanité et la philosophie.

A vouloir mettre dans une stase parfaite la notion de bienveillance, nous la rendons insaisissable, mythologique, presqu’absurde.

La Bienveillance n’est pas une compétence, c’est une décision.

La Bienveillance n’est pas un état, c’est un jonglage mental et émotionnel.

Humains… trop humains !

Il est dans la nature humaine de naviguer de la pensée claire aux émotions en passant parfois (ou est-ce souvent) dans les fantasmes , les illusions et les croyances.

Nota bene :

Fantasme : Désir inconscient obsessif et inassouvi –

Illusion : Désir pris pour la réalité –

Croyance : Conviction prise pour la réalité

Il n’est pas humain d’être parfait et c’est très bien. Notre réalité est d’abord émotionnelle. Nous faisons l’expérience d’émotions alternées des milliers de fois par heure. Et à moins d’être de la planète Vulcain comme Monsieur Spock de Star Trek, nous ne sommes que très rarement dans la pure pensée claire.

On dira ce qu’on veut des concepts du Docteur Freud, il reste évident que notre vie inconsciente est riche et puissante. Nous surfons de manière imperceptible d’un état émotionnel à l’autre à la recherche d’un équilibre appelé bonheur. Il semblerait que les êtres humains visent deux objectifs majeurs inconscients : aller vers le maximum de plaisir et fuir la douleur. C’est une définition simple et un peu glaciale de la quête du bonheur.

Quant au bonheur, il est lui aussi un concept qui se voudrait parfait.

Seulement voilà, pour notre espèce, s’il existe une maxime absolue, c’est que rien de l’est… absolu.

Qui parle encore de philosophie de nos jours ?

Dans la dernière partie du millénaire précédent, on invitait à la télévision nationale des philosophes. On les célébrait et ils avaient même droit de cité en matière de politique, économie, vie artistique. Aujourd’hui, le monde est devenu scientiste. Le scientisme est une religion selon laquelle la science rigoureuse, les faits et leur analyse font loi et sauveront le monde comme l’a prouvé Oppenheimer, l’homme qui a rendu la bombe atomique possible.

On n’invite plus les philosophes à la télévision. Ils nous ont déçus ! Ils ne sont pas assez précis, n’ont pas de données fiables, n’entrent dans aucune matrice. Si on leur demande de quelle couleur est le monde, ils donnent des nuances, des saveurs, des options, des possibilités. Bref, ils ne savent pas répondre.

Alors que les gourous, les experts, les complotistes, les populistes, les religieux, offrent eux, de vraies réponses, et au milieu d’eux, les scientifiques sérieux sont devenus inaudibles. C’est blanc ou c’est noir, c’est vrai ou c’est faux. Le vaccin sauve ou bien il tue. On est bienveillant ou on ne l’est pas.

Question : « Peut-on de nos jours encore exprimer la bienveillance dans le cadre de nos sociétés et de notre civilisation ? »
Vous avez quatre heures.

Passer du binaire au systémique avec la N.A.S.A.

Pour ne choquer personne dans notre génération scientiste, je propose de passer par une lecture géométrique et pourquoi pas, géospatiale de la bienveillance.

C’est en 2007 que nous décidons mon compère et complice Pierre Agnèse et moi de prendre un moment pour interviewer le lunaire Docteur Terry McGuire1, psychiatre de renom dont une des tâches fut de faire le recrutement des astronautes des missions N.A.S.A. Discovery dans les années 80.

C’est à l’occasion d’une conférence sur la Process Communication® à Hot Springs, Arkansas aux USA que nous avons sympathisé et pris un temps pour philosopher sur la position de vie dite OK/OK chez les Ricains, et +/+ chez nous.

Pierre Agnese, Terry Mac Guire et Jérôme Lefeuvre en 2007
Pierre Agnese, Terry Mac Guire et Jérôme Lefeuvre à Palm Springs (Arkansas, USA) en 2007

Ce fervent acteur de l’école d’Analyse Transactionnelle bondit de plaisir nous entendant Pierre et moi émettre des doutes sur l’application du concept de bienveillance avec la position de vie OK/OK.

Il est raisonnable de dire qu’à l’époque nous côtoyions de nombreux collègues convaincus d’être bienveillants, puisqu’ils étaient « en +/+ ».

C’était la formule consacrée. Il était de bon ton « d’être en +/+ » et très mal vu de ne pas y « être ».

A la vérité nous observions toutes sortes chez eux de comportements et attitudes déviantes allant de la condescendance, la culpabilité voire la manipulation.


La position de vie +/+ ou OK/OK

Si vous n’êtes pas familier.e avec le concept de la position de vie +/+, le principe en est simple : dans un échange avec quelqu’un le premier + symbolise mon état d’esprit positif vis à vis de moi-même, je suis OK disent-ils outre Atlantique, et le deuxième + symbolise mon ressenti positif vis à vis de l’autre, tu es OK toi aussi.

Facile à comprendre, facile à dire, facile à confondre, facile à feindre.

En effet être dans un tel état d’esprit avec tous mes pairs évoque une forme d’amour et de compassion pour l’Autre qui relève du divin. Les Grecs anciens appelait cette forme d’amour Agape. Une compassion sans réserve, un respect et une tolérance inconditionnels.

Si vous savez faire ça, chapeau bas !


Le docteur McGuire au beau milieu de notre conversation nous demande de l’excuser, il revient.

Quelques minutes plus tard, nous découvrons, médusés, que lui aussi émet de grosses réserves sur l’accès à la bienveillance en se basant sur la position de vie +/+ qu’il décrit comme une lecture binaire d’un phénomène bien plus subtil. C’est le côté numérique de la chose qui l’irrite un chouïa. Il nous dit que ça ne peut pas être des 0 et des 1 comme en informatique, blanc ou noir.

Humains trop humains, il y a tant de variables à intégrer : le contexte, l’historique, les acteurs, les enjeux, l’intention et par-dessus-tout, les émotions sous-jacentes méconnues, voire inconscientes.
Prenons quelques exemples : Avez-vous déjà rencontré une personne qui se croit juste et qui est sévère ? Une autre qui se croit généreuse mais qui surtout se fait du bien à elle-même ?
Nous les connaissons ces versions condescendantes de la bienveillance qui s’appellent bien souvent du Sauvetage.
Que dire de ces situations ou la personne est bien obligée d’être tolérante, pas le choix, pression forte sociale ou psychologique. Alors pour l’instant, elle « est en +/+ » mais demain, pas sûr.

L’intention n’est pas toujours reflétée par le comportement

McGuire ne s’en tient pas là et nous montre des pages de notes et de schémas (c’est un scientifique comme j’aime) pour démontrer que la bienveillance, n’est pas binaire.

Pour lui, elle est systémique, elle est volatile et elle est merveilleuse quand elle est sincère.

A la fin de notre conversation qui aura duré presque deux heures, il me rattrape par la manche et me donne ses schémas et ses notes en me disant : Faites-en quelque chose Pierre et toi. Moi j’ai fait ma part.

Systémique ? Ça veut dire quoi ?

Pendant ce temps-là, en Californie, un autre psychiatre travaille d’arrache-pied avec ses patients sur la construction de relations saines, le Docteur Stephen Karpman. Lui aussi cherche comment construire une véritable bienveillance, concrète, observable, humaine.

Il identifie un triptyque émotionnel et comportemental qu’il appelle le Triangle Compassionnel.

Le Triangle Compassionnel et les postures PSV+

Il observe que la compassion authentique est une construction qui dépend de l’équilibre non pas de deux facteurs (comme les positions de vie) mais de six facteurs en mouvement permanent en nous. Ces six facteurs sont les trois pointes d’un Triangle Compassionnel, énergies positives, lucides, constructives et les trois pointes de son autre découverte : le Triangle Dramatique, énergies négatives, croyances destructrices dans les rôles Persécuteur, Sauveur et Victime.

Il nous dit que c’est en jonglant avec l’équilibre compassionnel à trois dimensions et en neutralisant nos tendances dramatiques elles aussi à trois dimensions que nous pouvons produire un état volatile certes, de bienveillance.

Curieusement, aux travaux de Karpman sur la compassion, peu de personnes se sont intéressées. Tout le monde, en revanche s’est précipité sur le Triangle Dramatique parce qu’humains trop humains, il semblerait que la compassion vende moins que le drame.

Et pourtant ces deux Triangles n’existent que l’un avec l’autre.

Si nous acceptons avec compassion notre propre humanité et décidons de pratiquer la bienveillance, c’est possible.

Trois conditions sont requises :
En avoir envie
En avoir le courage
Apprendre à jongler.

Jérôme Lefeuvre

  1. Le docteur Terry McGuire : J’ai eu le plaisir et l’honneur de traduire les conférences de Terry McGuire à Paris en 2007 lors de la première conférence internationale sur la Process Communication.
    Cet homme qui a connu les pionniers de l’aventure spatiale de Chuck Yeager à Buzz Aldrin a recruté des équipages pour la NASA en s’appuyant sur l’inventaire de Personnalité de Taibi Kahler avec qui il a peaufiné et validé le questionnaire dans sa version d’origine.
    Nous l’avons interviewé à Little Rock en 2009 Pierre Agnèse et moi. C’est ce jour-là qu’il a partagé avec nous ses réserves et ses recherches sur la position + /+. ↩︎