L’art (douteux) des

excuses

ou comment
« Je m’excuse, excuse-moi, je suis désolé »
ne veulent rien dire, au mieux, et au pire va te faire voir !

« Je m’excuse. »

Arrêter de vous excuser - affiche

Voilà, c’est dit. Trois petits mots supposés effacer toutes les maladresses du monde. Eh bien non. Parce que Je m’excuse, en réalité, veut dire je me pardonne moi-même. Si si ! Relisez la phrase, vous allez voir. C’est grammatical.

Avec cette formule vieille comme la Gaule, nous sommes à la fois le juge, le coupable et le prêtre qui nous absout. Pas mal, non ?

Pendant ce temps-là, notre interlocuteur, lui, n’a pas encore digéré l’affaire.

Depuis l’enfance, on nous apprend à demander pardon avec la même conviction qu’un enfant qui veut juste retourner jouer. “Dis pardon à ta sœur !” ; “Pardon.” “Bon, allez, file.”

Et voilà comment on devient adulte avec un vocabulaire de politesse, mais pas de responsabilité relationnelle.

Et les formules qui permettent de s’excuser soi-même sans s’amender sont foison. Excuse-moi, qui est un ordre. Veuillez-m’excuser, en est un autre. Pire : Pardonnez-moi, qui est une demande impossible tant que nous n’avons fait amende honorable. Comment pardonner à quelqu’un qui n’a pas présenté d’excuses au préalable ?

Vous voulez entendre pire : Je suis désolé ! Ici je m’arrange pour que l’autre se soucie de mon malaise avant même d’avoir présenté de vraies excuses.

Le virus est tellement répandu, que les familles, les éducateurs, les figures de pouvoir sont toutes aussi responsables de ce vilain péché d’orgueil qui empêche l’humilité et le courage nécessaire pour dire à l’autre que nous lui avons failli.

La plupart du temps, nos excuses formulées ainsi ne réparent rien du tout. Elles entretiennent un malentendu : celui de croire qu’une excuse, c’est un geste de politesse, alors que c’est souvent un déguisement d’émotion mal comprise.

Nous avons appris à nous excuser comme on tousse pour meubler un silence gênant. C’est automatique, culturel, presque pavlovien.
On s’excuse d’exister dans l’ascenseur, on s’excuse de parler avant un collègue, on s’excuse d’avoir… raison.
Quelle ironie ! Quel manque de courage !

Comment ça, je joue sur les mots ?
Oui, j’affirme que les mots portent l’intention. Parfois elle est inconsciente et pour ceux qui comprennent la force du langage verbal, elle est parfaitement consciente.

Le grand malentendu de l’excuse

Nos formulations ne sont pas le fruit du hasard. Elles mettent en scène les trois célèbres acteurs du Triangle dramatique de Karpman que mes lecteurs fidèles connaissent. Écoutez ça :

  • Le mal-embouché : “Bon ça va, excuse-moi ! T’es ch…t toi !”
  • Le bon samaritain : “Très bien, je m’excuse. Tu vas mieux ?”
  • La triple buse : “Oh là là, excuse-moi, je suis tellement nul…”

Dans tous les cas, l’excuse sert plus à sauver la face qu’à réparer le lien.
C’est de la cosmétique relationnelle : un peu de poudre de fausse honte, un soupçon de culpabilité, et hop ! Le trait est tiré, n’en parlons plus.

Mais alors, comment faut-il s’excuser pour réparer ses torts ?

L’excuse, version adulte : une boucle réfléchie, pas un réflexe verbal

Connaissez-vous la boucle de l’ABC d’AIR[1] née en Californie en 1969 ?

ABC — La boucle de la responsabilité de son acte

  • A pour Admettre : reconnaître sans se justifier.
  • B pour Believe (Croire) : y croire vraiment, sans le “oui mais”.
  • C pour Change : changer quelque chose dans son comportement.

AIR — La boucle de la réparation de la relation

  • A pour Amende honorable : “Je vous présente mes excuses” (et pas “je m’excuse”).
  • I pour Introspection : comprendre pourquoi on a agi ainsi.
  • R pour Responsabilité : s’engager à faire différemment.

Additionnez les deux : l’ABC d’AIR.

Une formule simple pour faire souffler un vent neuf sur nos excuses.

Mode d’emploi express : la vraie excuse en 5 étapes

1. Remplacez “Je m’excuse” par “Je te présente mes excuses.”

→ Le premier vous blanchit, le second répare.

2. Dites sur quoi vous faites amende honorable «… pour avoir rayé ta voiture »

→ Votre interlocuteur appréciera de vous entendre reconnaître le dommage sans justification.

3. Faites un mini check introspectif « J’ai été négligent »

→ Pourquoi j’ai généré ce dommage ?

4. Prenez une responsabilité concrète « Je vais m’occuper de la réparation »

→ C’est une source d’apaisement pour l’autre, d’entendre que vous avez déjà des options de réparation du dommage causé.

5. Une fois que la personne a accepté vos excuses, vous pouvez exprimer votre malaise, « Et je suis désolé. »

→ Le dire avant que la personne accepte vos excuses présente le risque de provoquer chez elle un malaise (culpabilité devant votre désarroi, agacement devant votre posture de victime).

À tester dès aujourd’hui :

La prochaine fois que vous avez envie de dire “désolé”, respirez deux secondes.

Demandez-vous : Suis-je vraiment désolé ou juste gêné ?

Votre relation (et votre taux de cortisol) vous remercieront.

Question de lucidité relationnelle pour finir :

Nos excuses réparent-elles ou sont-elles destinées à nous dédouaner le plus vite possible ?

Une excuse sincère finira par apaiser deux personnes.

« Je disais ‘désolée’ à tout bout de champ :
quand quelqu’un me bousculait, quand je parlais trop fort, même quand on me coupait la parole !
Un jour, une amie m’a dit :
‘Arrête de t’excuser d’exister à tout bout de champ, on a envie de te rentrer dedans !’
Depuis, j’ai troqué le ‘désolé’ contre ‘merci’.
Au lieu de ‘désolée d’avoir pris de la place’, je dis ‘merci de m’avoir écouté’.
Et bizarrement, c’est tout le monde qui respire mieux.” »

Témoignage de Clara, 32 ans, comédienne, ancienne accro du “pardon réflexe”

[1] L’Abécédaire de l’excuse est le 10ème des 11 outils thérapeutiques du Karpman Process Model à retrouver dans l’œuvre du Dr Steven Karpman, membre fondateur de l’Analyse Transactionnelle et du T.A. 202, séminaire de recherche en AT.