La Colère – Le moteur de la vie,
des projets et des rêves qu’on réalise

« Tu t’énerves pour rien »,
« Calme-toi »,
« Il faut garder son sang-froid »

Qui n’a jamais entendu ces injonctions au moment précis où le volcan intérieur menaçait de cracher sa lave ? Dans notre culture, la colère est une émotion suspecte, parfois honteuse, souvent redoutée. Pourtant, il est temps de lui rendre justice.

La colère est une des cinq émotions fondamentales. Elle n’est ni un bug relationnel ni une preuve d’immaturité. Elle est une alerte. Une activation de notre système limbique pour nous signaler qu’un obstacle[1] se dresse sur le chemin de notre projet. Elle apparaît quand je vis quelque chose que je ne veux pas, ou que je ne vis pas quelque chose que je veux.

Si le moteur crache et grogne, c’est qu’il a besoin d’un bon coup de clé de 12 pour avancer

Cette émotion que l’on confond avec l’attitude rageuse du voisin du dessus qui hurle à 22h parce qu’il n’aime pas ma musique de sauvage n’a rien à voir avec la violence et l’agressivité. Ce qu’on appelle communément « colère » n’est bien souvent que l’expression déformée d’un besoin non comblé, d’un projet contrarié.

Quand les gens disent colère ils confondent invariablement le geste et le mot.

La colère saine appartient au quintet noble des émotions fondamentales, avec chagrin, dégoût, joie, peur.

La colère n’est ni honteuse, ni barbare. Elle est fonctionnelle. Elle a une mission. Celle d’alerter, pour dire ce que nous voulons ou ne voulons pas lorsque que quelque chose ou quelqu’un entrave notre chemin.

Que faire de cette colère ?

D’abord, il faut la reconnaître.

Et ce n’est pas une mince affaire car personne ne sais trop quoi en faire sans basculer dans une attitude agressive ou exaspérée.

Combien sont ceux qui aiment à dire « Je ne suis pas en colère, je suis juste un peu irrité ».

Et que dire du légendaire : « Zyva, j’m’énerve pas, j’explique », tout en serrant les mâchoires jusqu’à faire de l’art dentaire un sport de combat.

Tant que l’on refuse d’écouter et de nommer la colère pour ce qu’elle est, elle ne peut accomplir sa fonction : signaler un obstacle, générer une énergie, alerter l’environnement, proposer une action, négocier un pacte.

Une fois identifiée il faudra commencer par la ventiler. Oui, ventiler, c’est à dire évacuer le trop plein hormonal. Ici le geste est subtil car il faut que ça sorte sans exploser et surtout sans dissimuler.

Ventiler, c’est laisser sortir le flux d’adrénaline par une action physique ou symbolique : dire, bouger, respirer a plein poumons, frapper dans un coussin, écrire une lettre qu’on ne postera pas. Peu importe, tant que l’énergie sort. Une colère ventilée permet à la pensée claire de revenir.

Une colère stockée et mal évacuée devient une humeur. Et l’humeur, vous l’avez compris, est l’ennemie de l’intelligence émotionnelle.

Bref : colère GOOD ! Humeur BAD !

La colère, bien comprise, est le carburant de l’assertivité. C’est par elle que nous poserons des limites claires, défendrons un projet, rétablirons notre intégrité.

Elle est, dans sa forme mature, le socle de la transparence et du courage relationnel.

La preuve ? Une personne capable de dire calmement et fermement «Ce que tu fais n’est pas acceptable pour moi » est infiniment plus puissante qu’un colérique bruyant ou qu’un frustré chronique.

Mode d’emploi de base pour transformer la colère

  1. Repérer l’obstacle. Est-ce une atteinte à mon projet ? Un empêchement ? Une injustice ?
  2. Ventiler physiquement. Marchez, tapez dans un oreiller, expirez lentement. Faites sortir l’énergie.
  3. Exprimer l’émotion sans blâme. Parlez-en en employant « je » : « Je ressens de la colère parce que ce que je veux n’est pas possible dans cette situation. »

Et si vraiment la moutarde vous remonte trop vite au nez et que ventiler ne soulage rien, demandez-vous si cette colère ne cache pas une autre émotion… Peur ? Chagrin ? Ou même un dégoût mal digéré ? Trop souvent les personnes qui ressentent le dégoût et devraient s’éloigner, restent et attaquent l’objet de leur mépris.

Ils s’imaginent alors en colère alors qu’ils ne font que perdre du temps et prendre le risque de s’intoxiquer[2] dans le conflit. Oui, les émotions aussi jouent à cache-cache.

Les raisons de la colère

La colère n’est donc pas une humeur. Ce n’est pas un état d’âme prolongé. Ce n’est pas un trait de personnalité. La colère est une réaction physiologique rapide et intense à une contrariété perçue comme un empêchement, un obstacle[3].

Prenons un exemple simple : je suis en train de travailler sur un projet important. Un collègue débarque sans prévenir, interrompt mon élan, et me critique au passage.
Inondation d’adrénaline. Colère. Pas à cause de mon collègue. À cause de l’obstacle qu’il représente à ce moment précis pour mon projet.

C’est une alerte précise, activée par le cerveau limbique, lorsqu’un événement – interne ou externe – vient contrecarrer ce que je veux vivre… ou m’impose ce que je ne veux pas. Aussi simple que cela. Dès qu’un obstacle surgit sur le chemin de mon projet, qu’il soit de carrière, d’amour, de sieste ou de barre chocolatée, la colère se met en route. Mon cerveau limbique libère alors les hormones nécessaires pour lever l’obstacle.

La méthode pour retenir les chevaux est simple comme un sourire : dire clairement ce que je veux ou ne veux pas à la personne concernée.

Ce n’est donc pas l’événement lui-même qui génère la colère, mais la présence d’un obstacle. La colère ne sert pas à dire « craignez-moi », elle sert à dire « je veux agir et je suis bloqué ». C’est une invitation urgente à transformer l’obstacle en action, à condition de ne pas confondre le ressenti avec sa mise en scène et les drames.

La colère, bien utilisée, donne accès à l’intégrité et l’assertivité. Elle fournit le courage de dire « non » à ce qui freine, de poser mes limites, de réaffirmer mes choix. Elle est l’alliée de la clarté et de la détermination. Ce sont ses avatars qui véhiculent de l’agressivité.

Les avatars indignes de la colère

Quand la colère n’est pas ventilée, elle stagne. Et comme tout fluide mal évacué, elle s’infiltre, se transforme, et pourrit. Elle devient humeur. Ses noms sont irritabilité, frustration, agressivité. Ce ne sont plus des émotions, mais des états prolongés entretenus par la pensée, inutiles, inefficaces et particulièrement dommageables.

Faute de ventiler l’énergie de la colère par une action claire, nombre d’entre nous préfèrent la stocker dans les conduits bouchés de la rumination mentale. Ces humeurs sont le fruit d’un mauvais traitement de la colère. Un stockage prolongé d’une énergie qui aurait dû être évacuée, digérée, transformée.

Car si l’émotion ne dure que quelques secondes, l’humeur, elle, s’installe comme un locataire indélicat qui oublie de payer le loyer. Et dans ce squat émotionnel, on ressasse, on rumine, on se parle à soi-même comme à un punching-ball mal élevé : « Franchement, il exagère ! », « C’est toujours pareil », « Je lui ai pourtant déjà dit ! ». Et pendant que la machine mentale tourne, la relation humaine s’encrasse. Mauvaise humeur, mauvaise nouvelle.

Ces humeurs sont entretenues par un sport mental très prisé : le soliloque. La personne rumine, rejoue le film, en rajoute une couche, se raconte que l’autre aurait dû, que ce n’est pas normal, que c’est toujours comme ça. L’énergie reste coincée, et la pensée claire ne revient pas. On appelle cela la mauvaise humeur, et elle est aussi stérile qu’un champ de sel.

Les colères de Kahler

Le Docteur Taibi Kahler, créateur de la Process Communication, n’a pas manqué de flair en identifiant les trois attitudes courantes – et inappropriées – face à la colère mal gérée[4].

  • Le blâme : « C’est ta faute ». On désigne un coupable, on externalise tout.
  • L’attaque : « Tu es nul ». On généralise, on disqualifie, on détruit le lien.
  • La plainte : « Je suis nul ». On retourne la colère contre soi, on se dévalorise.

Ces comportements ne sont pas la colère. Ce sont des tentatives maladroites de l’exprimer sans l’assumer. Résultat : du bruit, le lien abîmé, rien n’est réglé.

La vraie colère, sainement exprimer est sobre. Elle permet de dire : « Ce que je vis là n’est pas acceptable pour moi. Je veux le dire. Je veux changer les choses. »

Il y a de l’ironie, presque burlesque, à observer combien la colère peut aider à porter la vérité quand elle est bien utilisée ou de détruire cette même vérité lorsqu’elle est mal canalisée.

Une émotion maltraitée devient une caricature d’elle-même, et c’est exactement ce que Kahler nous donne à voir.


3 questions émotionnelles pour apprivoiser la colère

Question émotionnelle #1 :

Savez-vous reconnaître les signaux d’alerte de votre colère avant qu’elle ne se transforme en agressivité ou mauvaise humeur ?

Si votre réponse est « Je crois que oui, enfin… pas toujours« , il est temps de réapprendre à écouter cette émotion sans la craindre.

Le premier signal d’alarme, c’est lorsque le corps s’échauffe sans raison apparente : mâchoires qui se crispent, respiration qui s’accélère, regard qui durcit. Ce sont des signes que quelque chose ou quelqu’un vient de se placer sur la route de votre projet ou de votre besoin.

Le deuxième signal d’alerte se manifeste par une pensée répétitive : « C’est pas juste », « Ils m’empêchent », « Encore une fois, on ne me respecte pas« . La pensée devient circulaire, auto-entretenue, et prépare le terrain à l’irritabilité chronique ou à la plainte stérile.

Le vrai danger de la colère, ce n’est pas de la ressentir. C’est de ne pas l’exprimer à temps, et de la laisser fermenter jusqu’à produire agressivité, amertume ou comportements passifs-agressifs. La colère est un moteur, pas un boulet.

Mode d’emploi express : Apprenez à reconnaître le moment où il faut dépressuriser

  1. Le symptôme de la tension physique localisée
    Colonne vertébrale raide, crispation des poings ou du cou, bouche serrée. Votre corps vous alerte avant votre mental.
    À tester : faites une pause, respirez lentement et identifiez la phrase qui tourne en boucle dans votre tête. Quelle part de vous a besoin d’agir ou de dire « non » ?
  2. Le symptôme du scénario mental
    Vous rejouez la scène 15 fois dans votre tête. Vous devenez le narrateur intérieur d’un western relationnel où l’autre incarne toujours le « méchant ».
    À tester : notez ce que vous vouliez vivre à la place de ce que vous avez subi. C’est là que se trouve votre projet contrarié. Donnez-lui une place. Et décidez de l’action ou de la négociation à mettre en route.

« Je croyais ne jamais être en colère. J’étais juste tendue, souvent agacée.
Puis un jour, en réunion, j’ai explosé pour une histoire de rétroplanning.
Ce n’est qu’après coup que j’ai compris : ça faisait des mois que je m’étais laissée marcher sur les pieds.
Ma colère était là depuis longtemps, simplement je ne la voyais pas. »

Témoignage de Mélanie, 35 ans, cadre dans un cabinet d’audit

Conseil à Mélanie : Apprends à reconnaître les signaux physiques de la colère : tension dans la mâchoire, montée de chaleur, respiration plus rapide. N’attends pas qu’elle sature pour réagir. Elle est ton alliée, pas ton ennemi.


Question émotionnelle #2 :

Savez-vous comment exprimer votre colère sans blesser ni être blessé ?

La colère bien exprimée est une parole d’alignement, pas une décharge de violence. C’est une compétence à développer. Elle est le secret de l’assertivité.

  1. Identifier le déclencheur précis
    Quel besoin ou quel projet a été empêché ? Est-ce une limite franchie ? Un manque de reconnaissance ? Une injustice ? Sans cette clarté, impossible de transformer la colère en message utile.
  2. Exprimer sans accuser
    Dites « Je suis en colère car ce projet me tient à cœur et je me sens entravé » plutôt que « Tu m’empêches toujours d’avancer« . Cela change tout : vous parlez de vous, pas de l’autre.
  3. Éviter les généralités toxiques
    « Tu fais toujours ça« , « Les gens sont des truffes ignares et mal fagotées[5] » Ces soliloques sont des amplificateurs d’humeur, pas des révélateurs d’émotion.
    À tester : remplacez-les par un fait précis, une date, une action. Votre colère devient audible et crédible.
  4. Ventiler par le corps pour revenir à la pensée claire
    Une marche rapide, des frappes dans un coussin, une série de pompes, ou un cri seul dans la voiture : toutes les méthodes sont bonnes… tant qu’elles permettent de revenir à vous.

Notez-bien que contrairement à ce que conseillent les bien-pensants : l’idée n’est pas de se calmer, mais de libérer l’énergie pour retrouver la clarté de la pensée.

« J’étais devenu un maître dans l’art de la bouderie faussement discrète. Le faiseur de gueule professionnel. Quand je me sentais ignoré ou désavoué, je devenais distant, ironique, méprisant.
Jusqu’à ce qu’un élève me dise : “Monsieur, pourquoi vous nous détestez aujourd’hui ?”
J’ai compris que je confondais gestion de conflit et passivité déguisée.

Témoignage de Karim, 42 ans, enseignant à côté de chez moi

Conseil à Karim  : Ne laisse pas la colère s’enkyster. Ventile-la. Bouge ton corps. Crie dans ta voiture. Écris. Marche. Et surtout, transforme-la en phrase claire : « Si je suis en colère c’est parce qu’une chose que je ne veux pas est sur mon chemin. »


Question émotionnelle #3 :

Savez-vous transformer la colère en puissance constructive plutôt qu’en humeur destructrice ?

Si votre réponse est « J’essaie mais je me fais parfois déborder », c’est bon signe : vous êtes déjà sur le chemin de la compétence.

La colère est une énergie de mouvement. Soit, vous la laissez tourner à vide dans votre esprit, soit, vous la canalisez pour reprendre la main.

  1. Identifier le projet initial
    Qu’est-ce qui comptait pour vous à ce moment-là ? La reconnaissance ? Le respect ? La liberté ? Quand vous reconnectez avec le projet sous-jacent, la colère retrouve sa dignité.
  2. Décider de ce que vous voulez rétablir
    Un cadre ? Une limite ? Une priorité ? Transformez la colère en plan d’action. Ce n’est pas le contexte qu’il faut blâmer, c’est votre cap qu’il faut retrouver.
  3. Racontez votre colère à quelqu’un qui peut l’entendre sans dramatiser
    Un témoin bienveillant, un collègue ressource, un ami qui sait écouter sans conseiller. Parler, c’est souvent désamorcer. Et c’est aussi découvrir le message de la colère.
    À tester : racontez l’épisode à la première personne, sans chercher de coupable. Juste pour dire ce que vous avez ressenti. Souvent, cela suffit à ne plus en être prisonnier.

« J’ai longtemps cru qu’exprimer ma colère allait me faire perdre des clients.
En réalité, quand j’ai commencé à dire “non” avec calme mais fermeté, j’ai gagné en respect.
Et j’ai pu enfin dire “oui” à mes vrais choix. »

Témoignage de Sophie, 50 ans, une collègue entrepreneuse

Conseil à Sophie : N’attends pas d’être à bout pour agir. Utilise ta colère pour identifier tes limites et les exprimer. C’est le moyen de défendre ton intégrité. Ce “non” là, s’il est bien dit, ouvre toujours la porte à un “oui” plus généreux, plus sain et plus adulte.


Et pour finir, pourquoi la colère est-elle notre meilleure alliée ?

Je veux vous parler pour finir de ce que mon ami et complice de toujours, Pierre, appelle la bonne colère.

Si la colère est une alerte qu’il faut agir pour lever les obstacles sur le chemin de nos projets, elle est aussi le chemin du retour à nos envies et à nos rêves lorsque nous avons subi un moment d’arrêt. Après le chagrin, après la défaite, après les déceptions, les erreurs, les coup de mou, il nous faut redéfinir notre projet et repartir de plus belle.

La bonne colère de mon pote Pierre, c’est ce coup de pieds aux fesses mental que nous nous donnons pour nous dire à nous-même : allez, vas-y, reprend le cours de ta vie. Qu’est-ce tu veux, qu’est-ce que tu ne veux plus ? C’est clair alors lève-toi et vis !

Voici l’histoire que Pierre m’a racontée ce matin quand je lui ai soumis cet article pour lecture experte :

L’autre soir, je rentre chez moi et j’ouvre mon garage pour ranger ma voiture. Pour la énième fois je vois tout ce bazar que je procrastine à mettre en ordre depuis des mois. Et ce soir, c’est trop ! Je craque ! Je me prends UN GROS COUP DE COLÈRE et je me retrousse les manches. En une deux heures de temps, j’ai organisé, trié (et j’ai trié, trié, hééé disait la chanson), préparé un tas pour la déchèterie, étiqueté, balayé, réparé. Un fou furieux je vous dis ! Un voisin-copain est passé par là et m’a vu faire. Il m’a fait un compliment et m’a dit qu’il allait en faire autant ce week-end. Il a rajouté « T’es chaud, dis-donc ! » Une fois terminé, j’ai pris un pied pas possible à ranger ma voiture dans son nouvel écrin 😅. Ma soirée fut pleine de joie et d’énergie alors que nous étions vendredi soir et que j’étais cuit comme une fin de semaine. Le lendemain matin, j’ai fini le geste en allant à la déchèterie me débarrasser du trop-plein… 

Témoignage DE PIERRE

J’ai hâte de me la ressentir toute brûlante et toute précieuse ma prochaine bonne colère, j’ai hâte de me redonner un coup de pied aux fesses mental, c’est tellement bon ! D’autant qu’au bout du chemin il y une récompense : la joie pure de l’enfant intérieur qui se dit « Wahou ! Ça c’est fait ! »


[1] Paul Ekman, Emotions revealed

[2] Voir mon article « Existe-t-il des gens toxiques ? »

[3] Paul Ekman, Emotions revealed

[4] Taibi Kahler, Le grand livre de la Process Thérapie, éditions Eyrolles

[5] Je reconnais que cette formulation-là est plus rare